Le Japon est souvent associé à une société harmonieuse, disciplinée et prospère. Pourtant, derrière cette façade se cache une réalité plus sombre pour de nombreux jeunes et adultes : le phénomène des hikikomori. Ces personnes choisissent de vivre en retrait de la société, parfois pendant des mois, voire des années. Quelles sont les causes de ce repli extrême ? Comment les familles et la société japonaise tentent-elles de gérer ce phénomène ?
Hikikomori : De quoi parle-t-on ?
Le terme hikikomori (引きこもり) signifie littéralement "se retirer" ou "se replier sur soi-même". En général, il décrit une personne, souvent un jeune adulte, qui vit volontairement isolée dans sa chambre, coupée de tout contact social direct. Ces personnes évitent généralement les interactions voire même avec leur propre famille…
Ce phénomène, reconnu pour la première fois dans les années 1990, a pris une ampleur inquiétante. On estime aujourd'hui qu'il y a près d’un million de hikikomori au Japon, bien que les chiffres exacts soient difficiles à évaluer en raison de la nature cachée du problème. Mais pourquoi tant de jeunes Japonais choisissent-ils de se couper du monde ?
Les causes du phénomène hikikomori : Pression sociale et attentes élevées
La société japonaise est souvent décrite comme exigeante et très orientée vers la réussite. Dès l’enfance, les Japonais sont soumis à une forte pression pour réussir dans leurs études et obtenir de bons emplois. La compétition pour entrer dans les meilleures écoles et universités est féroce, et l'échec est souvent perçu comme une honte pour la personne et sa famille. Pour certains, cette pression devient insupportable, au point de se replier sur eux-mêmes.
De plus, le concept de honne (ce que l’on pense réellement) et tatemae (ce que l’on montre aux autres) joue un rôle important (article sur le sujet ici!). Les Japonais sont souvent tenus de cacher leurs sentiments et leurs pensées personnelles pour préserver l’harmonie sociale. Cette tension entre l’individu et la société peut devenir un fardeau, surtout pour ceux qui ont du mal à exprimer leurs frustrations ou leurs échecs.
Par ailleurs, le tabou persistant autour de la santé mentale au Japon empêche souvent les familles de chercher de l'aide professionnelle, ce qui aggrave la situation.
Le quotidien des hikikomori : Une vie en retrait
La vie d'un hikikomori est souvent marquée par une routine monotone et isolée. La plupart d’entre eux passent leurs journées enfermées dans leur chambre, sortent rarement, et dépendent de leurs parents pour les repas et les besoins de base. Leur espace personnel devient à la fois un refuge et une prison.
Les hikikomori consacrent beaucoup de temps à des activités solitaires comme les jeux vidéo, la lecture de mangas, ou la navigation sur Internet. Pour certains, le monde virtuel devient une échappatoire où ils peuvent interagir sans la pression des interactions sociales en face à face. Mais ce mode de vie entraîne souvent un cercle vicieux : plus ils s’isolent, plus il devient difficile de réintégrer la société.
Certains hikikomori gardent un lien avec le monde extérieur via les réseaux sociaux ou des jeux en ligne, mais ces interactions restent superficielles et n'offrent pas le même soutien que les contacts en personne.
Les familles face au hikikomori : Entre honte et désespoir
Pour les familles, avoir un enfant hikikomori est souvent vécu comme une épreuve difficile. Non seulement parce qu'il est douloureux de voir son enfant se replier sur lui-même, mais aussi parce que le phénomène est encore perçu comme un sujet tabou dans la société japonaise. Les familles ont souvent honte et préfèrent garder le problème secret, craignant que leur entourage ne les juge.
Les parents se retrouvent donc souvent seuls à essayer de comprendre et de gérer la situation. Certains font appel à des consultants en hikikomori, des spécialistes qui aident les familles à communiquer avec leurs proches repliés, et proposent des stratégies pour les encourager à sortir de leur isolement.
Dans certains cas, les parents se tournent vers des programmes de réhabilitation ou des centres spécialisés pour hikikomori, où des professionnels travaillent avec les jeunes pour les aider à réintégrer la société. Mais ces initiatives sont coûteuses et peu nombreuses, ce qui laisse de nombreuses familles sans solution.
Les initiatives et solutions pour lutter contre le phénomène
Le gouvernement japonais a commencé à reconnaître l'ampleur du phénomène hikikomori et à mettre en place des programmes de soutien. Des centres d’accueil et des associations proposent un accompagnement spécialisé, permettant aux hikikomori de réapprendre à socialiser à leur rythme. Certains de ces programmes utilisent des thérapies de groupe, des ateliers créatifs, ou encore des activités en plein air pour redonner goût à la vie en société.
Il existe également des groupes de soutien en ligne pour les hikikomori et leurs familles. Ces groupes permettent aux personnes concernées de partager leurs expériences et de se sentir moins isolées. De plus, certains hikikomori réussissent à réintégrer la société en trouvant des emplois en ligne, qui leur permettent de travailler depuis chez eux, sans subir la pression des interactions en personne.
Cependant, il reste beaucoup à faire pour briser les tabous autour de la santé mentale au Japon et pour fournir un soutien plus accessible aux personnes en difficulté.